Chapitre 1 Il était une fois, dans une montagne peuplée de conifères parfumés, une vilaine femme au grand nez. Elle était fort
laide dans son ensemble, mais son nez long et crochu surpassait tout le reste. Elle avait coutume de descendre au village une fois par semaine pour s’approvisionner, et devait le traverser complètement pour atteindre l’épicerie. Ce faisant, elle passait devant le bar, l’église, le parc, et toutes les maisons. Quand elle passait devant le bar, elle entendait rire les hommes et devant l’église, elle entendait rire les anciens. Devant les maisons, elle entendait rire les femmes, et devant le parc, elle entendait rire les enfants. Persuadée que le village entier riait de sa laideur, elle se mit à haïr l’ensemble des villageois. Ce que les gens d’ici ne savaient pas, est que cette femme était aussi vilaine de dedans que de dehors, et qu’elle connaissait le secret des magiciens les plus vilains des anciens temps. Ainsi, disposait-elle, dans un endroit secret de la forêt, d’une baguette magique. C’était une baguette peu ordinaire. Inutilisée depuis des siècles par les fées, et ayant seulement servi à faire le mal, elle était devenue aussi
vilaine que ses propriétaires, et n’était plus capable de rien de bon.
Chapitre 2 Un matin ensoleillé, la vilaine se prépara pour ses courses. Elle trouva la journée suffisamment agréable pour faire le détour par la cachette. Après avoir bien grimpé à flanc de montagne, elle délogea de son creux de rocher la baguette
magique, la glissa dans la poche de son tablier, et s’en retourna en direction du village. Lorsqu’elle passa devant le bar, les hommes rirent. Devant les maisons, les femmes rirent. Devant l’église, les anciens rirent. Seuls les enfants ne rirent pas car ils étaient tous occupés à faire une partie de ballon, et l’écart de points était trop serré pour qu’ils s’intéressent à autre chose. La haine qui avait envahi son cœur la portait de joie, car la vilaine serrait dans la main, cachée dans sa poche, la baguette magique. Ainsi, son dos se voûta, ses dents se crispèrent, son œil devint noir et elle cria :
– Vous, les hommes, vous êtes aussi bêtes à charger comme des ânes ! – Vous, les femmes, vous êtes aussi bêtes à traire comme des vaches ! – Vous, les anciens, vous êtes aussi bêtes à coasser dans le bénitier !
Puis, tranquillement, elle se redressa comme si elle n’avait rien dit et continua son chemin vers l’épicerie. Les enfants, qui jouaient au ballon, cessèrent leur partie pour écouter ce que hurlait la vilaine. Ils s’étaient rapprochés du bord du terrain et la regardaient s’éloigner sous son chapeau crasseux et couvert de toiles d’araignées. Quand soudain un cri d’horreur les étrangla tous ensemble. Ils voyaient leurs pères se changer en ânes gris, leurs mères en vachettes brunes à gros pis, et leurs grands parents en grenouilles. Ils se précipitèrent vers eux en les appelant mais déjà, comme si la chose était naturelle, les grenouilles avaient plongé dans la mare du parc, les ânes et les vachettes s’étaient regroupés en troupeau et partaient en direction des champs car le pavé et les murs ne les intéressaient plus.
Dans un premier temps, les enfants eurent très peur, se demandant ce qu’il adviendrait d’eux, puis ils se calmèrent et recommencèrent à jouer. Après tout, plus personne pour les commander ou leur interdire des choses, c’était toujours bon à prendre, le temps que ça durerait ! De son côté, la vilaine avait fait ses courses, riant d’écrire elle-même son compte sur le carnet de la marchande.
– Tu sais plus écrire, la gourdasse ! T’es partie brouter !
Elle traversa le village complètement vide à l’exception du stade sur lequel courraient les enfants. Puis elle retourna à sa maison, plus haut, dans la montagne. Le soir venu, elle envoya un renard porter aux enfants les consignes pour trouver à manger, et surtout, les conseils de divertissement sans limite auxquels ils avaient droit, à condition de ne plus jamais rire d’elle.
Chapitre 3 Les jours passèrent ainsi, dans l’oisiveté pour les enfants, et dans l’absence de rires pour la vilaine. Cependant, elle n’en avait pas assez. Elle avait encore envie d’utiliser sa vilaine baguette. Mais que demander, quand on a ce que l’on désire le plus ?
– Ma baguette ne peut me faire belle, car cela serait une chose bonne et elle n’en est pas capable. Je pourrais obliger quelqu’un à travailler gratuit pour moi ? L’esclavage étant une chose mauvaise, cette baguette pourra le faire ! Bien ! Je vais obliger … un artiste à décorer ma maison !
Elle serra fort sa baguette, invoquant un artiste haut en couleurs à apparaître sur le champ chez elle, et complètement soumis à ses caprices. Apparut soudain une petite personne, plutôt discrète, avec des petits yeux et des petites mains. Mais chacun de ses doigts était d’une couleur différente, trois bleus différents, trois rouges différents, trois jaunes différents, et un en or. L’artiste eut l’air surpris de se trouver transportée là, mais rapidement se soumit au bon vouloir de la vilaine, sous l’emprise de son pouvoir magique.
– Peints ce mur en bleu ! » Ordonna la vilaine. L’artiste toucha le mur de son doigt bleu et il se colora en bleu.
– Peints celui-ci en mauve !
Il en fut fait de même avec le doigt mauve. – Peints cette porte en vert !
L’artiste toucha la porte avec un doigt bleu et un doigt jaune en même temps et le mélange se fit. Le jeu dura ainsi plusieurs jours, la vilaine ordonnant de colorer chaque centimètre de sa demeure, de ses vêtements, de ses porcelaines, de ses mouches et araignées, Tout était devenu multicolore jusqu’à la fumée de la cheminée. Jamais l’artiste ne discutait les choix de la vilaine, et réalisait des œuvres d’un goût plus que douteux, et l’ensemble commençait à ressembler à … allez savoir ! Quand elle trouva sa maison fort plaisante et plutôt gracieuse, la vilaine ordonna de modifier la nature. Elles sortirent ensemble et l’artiste toucha de violet les conifères, de rose le renard, d’orange l’ours et de vert pomme le mouflon. Comme ses vêtements et souliers étaient fraîchement repeints, la vilaine ordonna :
– Colore la terre de façon à ce que sa poussière ne me salisse plus ! Et la terre devint jaune citron à rayures.
Chapitre 4 Depuis le village, les enfants voyaient les arbres changer de couleur et le terrain du parc prendre d’étranges rayures jaunes. Puis ils virent arriver la vilaine accompagnée d’une personne normale, mis à part
ses doigts bien sûr !
Au fur et à mesure que les deux femmes avançaient dans le village, les maisons prenaient des couleurs vénitiennes, et le goudron de la route devint limpide comme de l’eau. L’artiste avait du toucher de plusieurs doigts pour obtenir cet effet trompe l’œil particulièrement difficile ! Dans
les champs, en contrebas du village, paissaient paisiblement les parents. Les taches brunes et grises des vachettes et ânes étaient des salissures dans ce beau tableau.
– Une vache sur deux à pois et les autres à carreaux ! Un âne sur deux à rayures et les autres marbrés ! Plus de couleurs ! Enfin, mademoiselle ! Chargez ! Et puis, ajoutez des petites fleurs par-ci par-là !
La vilaine fit faire de même avec les grenouilles de la mare puis se mit à penser aux enfants, se demandant ce qu’elle allait faire d’eux. Ils s’émerveillaient de voir leur village se transformer en animé et suivaient les femmes en les acclamant. Chacune des nouvelles touches de couleur déclenchait des :
– Oh ! Ah ! Que c’est beau !
Chantaient-ils tous en cœur.
dessin
La vilaine était satisfaite de leur changement d’attitude à son égard et pensa à ce moment, que ces enfants seraient autorisés à vivre avec elle comme les siens puisqu’ils avaient fini par l’apprécier. Ils formeraient le nouveau village, bâti sur le respect de sa seule et unique personne comme une reine. Elle se mit à rêver de son futur palais et décida d’aller faire une sieste pour y songer avec ardeur.
Chapitre 5 L’artiste en profita pour bavarder avec les enfants, à l’ombre d’un platane rose.
– Des parents ? Nous n’en avons plus, car ils sont devenus ces ânes et vachettes que vous avez peints. Ils ne nous parlent plus, ne nous écoutent plus, et ne nous commandent plus.
Certains commençaient à admettre éprouver un manque de câlins, mais ils ne comprenaient pas comment ces sentiments disparaissaient. Ils avaient oublié comment étaient leurs vies avant, mais parfois, ils se souvenaient de certaines petites choses qui s’enfuyaient tout aussi vite. L’artiste compara cette impression générale à la sienne. Elle ne se souvenait pas avoir jamais été aussi obéissante de toute sa vie ! Dans son rêve de reine, la vilaine était dans un palais somptueux, et,
trop occupée à régner, elle ne réalisa pas avoir lâché sa baguette magique. Aussitôt, l’artiste et les enfants ne furent plus sous son charme et purent à nouveau penser librement. Ils regardèrent autour d’eux et conclurent à la folie de la vilaine décidant de concert de s’approprier la baguette. L’artiste s’avança à pas doux, pris l’objet magique et recula sans bruit.
Quand la vilaine se réveilla, quelle ne fut pas sa surprise de voir le village couleur de pierre, les conifères verts et les villageois serrant leurs enfants dans leurs bras ! Dans un tourbillon de magie, l’artiste remettait tout en place. Les enfants étaient si pressés de retrouver leurs parents qu’ils avaient secoué la petite femme pour lui faire agiter plus vite la baguette. Et comme elle n’était pas très douée pour la magie, elle oublia certains détails, comme la couleur or sur la statue de la fontaine qui resta ridicule. Pour finir, elle s’en était donnée un coup sur la tête et avait disparu. Déçue d’avoir perdu un si précieux trésor, la vilaine rentra chez elle le plus discrètement possible, presque au ras de terre ! Une fois la magie partie, les villageois oublièrent cette épreuve et
recommencèrent à vivre comme avant, refaisant le monde au café ou ailleurs, et surtout riant de voir passer la vilaine une fois par semaine.
Il ne restait plus rien de la fantaisie colorée des semaines passées à part les petits oublis de l’artiste, soit la statue dorée et quelques notes de couleur au cou des femmes. Car dans sa hâte, elle avait changé certaines couleurs en perles au lieu de les enlever. Les mamans porteraient pour toujours, des couleurs extraordinaires en colliers.
Fantaisie colorée pour les enfants, par Catherine Mienville Lanfranchi, Medusa , Juin 2006.
ben ca alors !!!!
j’avais raté cette histoire, elle est très jolie. J’adore les contes. Si tu en a d’autres je suis preneuse.
biz kty
j’ai bien aimé l’histoire où l’on parle du respect de l’autre avec sa différence et j’aime beaucoup ton grigri vache, elle a quelque chose de doux et gai.
Medusa l’unique
En fait ma chère compatriote, je ne sais comment te l’exprimer…
Je suis demeurée l’oeil grand ouvert sans cligner la paupière et tout écarquillé devant cette histoire fabuleuse qui pourrait etre une des plus belles légendes de notre ile.
si les femmes porteront des perles colorées pour toujours pendues à leurs cous; moi je désire porter aux yeux le fard chatoyant de ton imagination et de ton art qui me ravissent.
Médusa : u acantesa.
Fan des médusettes !!!!
ma chère catherine, c’est toujours un réel plaisir de visiter ton site et de découvrir tes créations toutes aussi originales les unes et les autres.
Bravo pour ton inspiration !