Après le divorce de mes parents, mon père ne s’est pas remarié de suite, et les week-ends chez lui à cette époque sont chargés de souvenirs extravagants.
Entre les nouilles trop cuites, la chair à saucisses en guise de steak haché qui n’arrive pas à cuire à la poêle sans comprendre pourquoi, les repas étaient assez bizarres. Puis, il avait instauré un tour de cuisine, chacun de ses trois enfants avait un repas à gérer. Je ne me souviens pas de ce que faisaient les deux autres, je me rappelle seulement qu’il y avait toujours du poulet frites, des steaks hachés( dans du boeuf), et des escalopes de veau à la crème. Le même rituel se reproduisait un week-end sur deux. Les escalopes, c’était moi! Dans la crème, des chips écrasées avec des échalotes.
Le meilleur pour moi de cette époque, sont les samedis soirs, enfermés dans la cuisine, les odeurs de nourriture couvertes par les odeurs de chimie. Le révélateur ne sent pas trop fort, le pire émane du bain d’arrêt. Le matériel est rudimentaire, je dis « est » et non pas « était », car je l’ai toujours. Un agrandisseur, des bacs, et un tic tac. Nous restions des heures dans ces parfums acides, une grande partie de la nuit, mon père me contaminait de photo. Nous comptions les secondes sur le ballon d’une otarie qui tournait en grand bruit, et attendions gourmands, les yeux rivés sur le papier, de voir apparaître les images.
Voici une photo, faite aux environs de 1993, j’avais à l’époque un job rue du pont neuf, et l’habitude de déjeuner d’un casse-croûte sur le chemin vers le centre Georges Pompidou. J’avais pris un abonnement, pour pouvoir y aller tous les midis faire ma pause, et ai pris cette photo depuis le haut du bâtiment.
Même si on voit quelques traces de pinces laissées par mon manque de pratique du développement, j’aime le grain de cette photo, et son cadrage.